V

Dans le secteur à l’est de Huesca, jusque fort avant en mars il ne se passa rien – à peu près littéralement rien. Nous étions à douze cents mètres de l’ennemi. Lorsqu’on avait refoulé les fascistes dans Huesca, les troupes de l’armée républicaine qui tenaient cette partie du front avaient avancé sans excès de zèle, aussi notre première ligne dessinait-elle une sorte de poche. Par la suite il faudrait bien se porter en avant en cet endroit – ce ne serait pas un boulot facile sous le feu de l’ennemi –, mais pour l’instant nous faisions comme si l’ennemi n’existait pas ; notre unique préoccupation était d’avoir chaud et suffisamment à manger.

Pendant ce temps, c’était la routine de tous les jours – de toutes les nuits surtout –, les tâches ordinaires. Être en faction, aller en patrouille, creuser ; la boue, la pluie, les clameurs aiguës du vent, parfois la neige. Ce n’est que dans le courant d’avril que les nuits devinrent sensiblement moins froides. Ici en haut, sur ce plateau, les journées de mars ressemblaient beaucoup à celles d’un mois de mars d’Angleterre : un ciel bleu lumineux et des vents hargneux. L’orge d’hiver avait un pied de haut, des boutons pourpres se formaient sur les cerisiers (le front, ici, traversait des vergers abandonnés et des jardins potagers), et en cherchant dans les fossés, on trouvait des violettes et une espèce de jacinthe sauvage, parente pauvre de la jacinthe des prés. Immédiatement à l’arrière du front, coulait un merveilleux cours d’eau, vert, bouillonnant ; c’était la première eau limpide que je voyais depuis mon arrivée au front. Un jour, je m’armai de résolution et me glissai dans la rivière : mon premier bain depuis six semaines. Ce fut ce qu’on peut appeler un bain-éclair car cette eau provenait en majeure partie de la fonte des neiges et sa température n’était guère au-dessus de celle du point de congélation.

Et il ne se passait rien, jamais rien. Les Anglais avaient pris l’habitude de dire que ce n’était pas une guerre, mais une pantomime avec effusion de sang. Nous n’étions qu’à peine sous le feu direct des fascistes. Le seul danger, c’étaient les balles perdues qui, du fait que le front s’infléchissait en avant de chaque côté, venaient de plusieurs directions. Tous ceux qui furent blessés à cette époque, le furent par des balles perdues. Arthur Clinton reçut une mystérieuse balle qui lui fracassa l’épaule gauche et lui estropia le bras, définitivement, je le crains. Il y avait un peu de tir à obus, mais il était extraordinairement inefficace. Au vrai, nous considérions le sifflement aigu et le fracas d’explosion des obus comme une distraction innocente. Les fascistes n’envoyaient jamais leurs obus sur notre parapet. À quelques centaines de mètres en arrière de nous il y avait une maison de campagne, appelée La Granja et comprenant de vastes dépendances de ferme, qui servaient de magasin, de quartier-général et de cuisine pour tout le secteur. C’était cette maison que les artilleurs fascistes tâchaient d’atteindre, mais ils en étaient distants de cinq ou six kilomètres et jamais ils ne pointaient assez juste pour faire plus que briser les vitres et écorcher les murs. Vous n’étiez en danger que si le début du tir vous surprenait approchant de la route ; alors les obus tombaient tout autour de vous dans les champs. On acquérait presque instantanément une curieuse aptitude à reconnaître au son à quelle distance de soi un obus allait éclater. Les obus que les fascistes tiraient à cette époque étaient vraiment bien mauvais. Ils étaient de cent cinquante millimètres et pourtant creusaient des cratères de seulement six pieds de large sur quatre de profondeur ; et au moins un obus sur quatre n’explosait pas. D’où, naturellement, des contes romanesques de sabotage dans les usines fascistes et d’obus non éclatés dans lesquels, au lieu de la charge, on aurait trouvé un chiffon de papier portant : « Front rouge » ; mais je n’en ai jamais vu un seul. La vérité, c’est que ces obus étaient de bien trop vieilles munitions ; un de mes camarades ramassa un coiffage de fusée en cuivre qui portait une date, et c’était 1917 ! Les canons fascistes étaient de la même fabrication et du même calibre que les nôtres, et souvent l’on remettait en état les obus non éclatés et on en faisait renvoi par tir aux fascistes. Il y avait, racontait-on, un vieil obus, gratifié d’un surnom, qui quotidiennement faisait ainsi l’aller-retour sans jamais éclater.

La nuit, on envoyait généralement dans le no man’s land de petites patrouilles se coucher dans les fossés près des premières lignes fascistes pour écouter les bruits (appels de clairon, coups de klaxon d’auto, etc.) susceptibles de nous renseigner sur l’activité dans Huesca. Il y avait de constantes allées et venues de troupes fascistes et, jusqu’à un certain point, on pouvait se faire une idée de leur importance d’après les comptes rendus de ces patrouilles. En particulier, on nous recommandait toujours, si nous entendions les cloches de l’église sonner, de le signaler. Les fascistes, à ce qu’on disait, entendaient toujours la messe avant d’aller au feu. Au milieu des champs et des vergers il y avait des huttes aux murs de boue abandonnées qu’on pouvait explorer sans danger à la lueur d’une allumette, une fois qu’on avait bouché les fenêtres. Parfois on tombait sur un butin précieux, une hache par exemple, ou un bidon fasciste (qui, étant meilleur que les nôtres, était très recherché). On pouvait tout aussi bien explorer en plein jour, mais alors presque tout le temps à quatre pattes. Cela faisait une impression bizarre de ramper ainsi parmi ces champs fertiles et déserts où tout travail s’était arrêté juste à l’époque des récoltes. On n’avait pas fait la moisson. Les vignes non taillées serpentaient sur le sol ; les épis du maïs encore sur pied étaient devenus durs comme pierre, les betteraves fourragères et les betteraves à sucre s’étaient transformées, par hypertrophie, en d’énormes masses ligneuses. Comme les paysans durent maudire l’une et l’autre armée ! Parfois on envoyait des détachements ramasser des pommes de terre dans le no man’s land. À un kilomètre et demi environ sur notre droite, là où les fronts étaient le plus rapprochés, il y avait un carré de pommes de terre qui était fréquenté à la fois par les fascistes et par nous. Nous y allions de jour, eux de nuit seulement, car le carré se trouvait sous le feu de nos mitrailleuses. Une nuit, à notre grande contrariété, ils y vinrent en nombre et nettoyèrent le carré de toutes ses pommes de terre. Nous découvrîmes un autre carré un peu plus loin, mais en un endroit qui n’offrait aucun couvert, aussi était-ce couchés à plat ventre qu’il fallait arracher les pommes de terre – une corvée épuisante ! Si l’on était repéré par les mitrailleurs fascistes, il fallait s’aplatir comme un rat qui se tortille pour passer sous une porte, tandis qu’à peu de mètres derrière soi les mottes de terre étaient hachées par les balles. Mais en ce temps-là on trouvait que ça en valait la peine : les pommes de terre se faisaient très rares. Si l’on parvenait à en avoir un plein sac, il était possible, en le portant à la cuisine, de le troquer contre un plein bidon de café.

Et il ne se passait toujours rien, il ne semblait pas devoir jamais rien se passer. « Quand donc attaquerons-nous ? Pourquoi n’attaquons-nous pas ? », telles étaient les questions qu’on entendait jour et nuit poser et par les Anglais et par les Espagnols. Quand on réfléchit à ce que se battre signifie, cela paraît singulier que des soldats souhaitent se battre, et pourtant il est indubitable qu’ils le souhaitent. Dans la guerre de tranchées il y a trois choses dont tous les soldats ont grande envie : un combat, davantage de cigarettes et une permission hebdomadaire. Nous étions alors un peu mieux armés qu’auparavant. Chaque homme avait cent cinquante cartouches au lieu de cinquante, et peu à peu on nous distribuait des baïonnettes, des casques d’acier et quelques bombes. Constamment le bruit courait qu’on se battrait prochainement, et j’ai depuis pensé qu’on devait intentionnellement le faire courir, pour maintenir le moral des troupes. Point n’était besoin d’être versé dans l’art militaire pour comprendre que l’engagement principal ne pourrait avoir lieu de ce côté de Huesca, tout au moins à l’heure actuelle. Le point stratégique, c’était la route menant à Jaca, du côté tout à fait opposé. Un peu plus tard, lorsque les anarchistes déclenchèrent leur offensive sur la route de Jaca, notre tâche à nous fut de livrer des attaques de diversion, afin d’obliger les fascistes à retirer des troupes de l’autre côté.

Pendant tout ce temps, six semaines environ, il n’y eut qu’un seul combat dans notre secteur : l’attaque, par la cavalerie de choc, du manicomio, asile d’aliénés désaffecté et transformé par les fascistes en forteresse. Il y avait plusieurs centaines de réfugiés allemands qui faisaient la guerre avec le P.O.U.M. Ils étaient organisés en un bataillon spécial, qu’on appelait le batallón de choque ; du point de vue militaire, ils étaient à un tout autre niveau que le reste des milices ; je dirais qu’ils étaient plus véritablement soldats que tous ceux que j’ai vus en Espagne, si l’on fait exception des gardes d’assaut et de certaines troupes des Brigades internationales. L’attaque fut bousillée, comme d’habitude ! Combien, dans cette guerre, y eut-il d’opérations du côté gouvernemental qui ne le furent pas, je me le demande ! Le bataillon de choc prit d’assaut le manicomio, mais les troupes de je ne sais plus quelle milice, qui avaient reçu mission de le soutenir en s’emparant d’une hauteur voisine qui commandait le manicomio, eurent un grave mécompte. Le capitaine qui était à leur tête était un de ces officiers de l’armée régulière, d’un loyalisme douteux, que le gouvernement s’obstinait à employer. Soit par un mouvement de peur, soit par trahison, il alerta les fascistes en lançant une bombe alors qu’ils étaient à deux cents mètres. Je suis bien aise de pouvoir dire que ses hommes immédiatement le tuèrent net. Mais l’attaque-surprise ne fut pas une surprise, et les miliciens furent fauchés par un feu nourri et chassés de la hauteur, et à la tombée de la nuit le bataillon de choc dut abandonner le manicomio. Toute la nuit les ambulances se suivirent à la file sur l’abominable route qui descend vers Sietamo, achevant les grands blessés à force de les cahoter.

Nous étions tous, à présent, pleins de poux ; bien qu’il fît encore froid, il faisait cependant assez chaud pour cela. J’ai acquis une large expérience personnelle de toutes les sortes de parasites du corps et, comme pure saloperie, je n’ai pas rencontré mieux que le pou. D’autres insectes, les moustiques par exemple, vous font bien plus mal, mais du moins ne sont pas une vermine à demeure sur vous. Le pou de l’homme ressemble assez à un minuscule homard, et c’est surtout dans votre pantalon qu’il élit domicile. À moins de brûler tous vos vêtements, il n’existe pas de moyen connu de s’en débarrasser Dans les coutures de votre pantalon il dépose ses œufs d’un blanc brillant, semblables à de minuscules grains de riz, qui éclosent et fondent leurs propres familles avec une célérité horrifiante. Je crois que les pacifistes gagneraient à illustrer leurs brochures de photographies agrandies de poux. Ma foi, la voilà bien la guerre dans toute sa splendeur ! À la guerre tous les soldats sont pleins de poux, du moins dès qu’il fait suffisamment chaud. Les hommes qui ont combattu à Verdun, à Waterloo, à Flodden, à Senlac, aux Thermopyles, tous sans exception avaient des poux grouillant sur leurs testicules. Nous empêchions, jusqu’à un certain point, les bestioles d’augmenter en nombre en grillant leurs lentes et en nous baignant aussi souvent que nous pouvions l’endurer. Les poux seuls ont pu m’amener à entrer dans l’eau glaciale de cette rivière.

On commençait à manquer de tout – de bottes, de vêtements, de tabac, de savon, de bougies, d’allumettes, d’huile d’olive. Nos uniformes s’en allaient en lambeaux, et beaucoup d’hommes n’avaient pas de bottes, rien que des espadrilles à semelles de corde. Dans tous les coins on tombait sur des amas de bottes hors d’usage. Une fois nous avons pu alimenter le feu d’un abri pendant deux jours presque exclusivement avec des bottes ; ce n’est pas mauvais comme combustible. Dans l’intervalle ma femme était arrivée à Barcelone et m’envoyait régulièrement du thé, du chocolat, et même des cigares lorsqu’il y avait moyen de s’en procurer ; mais même à Barcelone on commençait à manquer de tout, et particulièrement de tabac. Le thé était une aubaine, mais nous n’avions pas de lait et presque pas de sucre. D’Angleterre on ne cessait d’envoyer des colis aux hommes du contingent, mais ces colis ne nous parvenaient jamais ; vivres, vêtements, cigarettes – tout était ou bien refusé à la poste, ou bien confisqué en France. Chose assez curieuse, la seule firme qui réussit à faire parvenir à ma femme des paquets de thé – et même, une fois, exception mémorable, une boîte de biscuits – fut The Army and Navy Stores. Pauvre vieille Army and Navy ! Elle s’acquitta noblement de son devoir, mais peut-être eût-elle éprouvé plus de satisfaction à voir ses marchandises prendre le chemin du camp de Franco. Le pire, c’était le manque de tabac. Dans les premiers temps on nous avait distribué un paquet de cigarettes par jour, ensuite ce ne fut plus que huit cigarettes par jour, puis cinq. Finalement il y eut dix mortels jours pendant lesquels on ne nous distribua pas de tabac du tout. Pour la première fois, en Espagne, je vis ce que l’on voit chaque jour à Londres : des gens ramassant des mégots.

Vers la fin de mars je me fis à la main une plaie qui s’envenima ; il devenait nécessaire d’y donner un coup de bistouri et de porter le bras en écharpe. Il me fallait aller dans un hôpital, mais ça ne valait pas la peine de m’envoyer à Sietamo pour une blessure si insignifiante ; je restai donc dans un prétendu hôpital, à Monflorite, qui était simplement un centre d’évacuation des blessés. Je séjournai là dix jours, une partie du temps au lit. Les practicantes (les infirmiers) me volèrent autant dire tous les objets de valeur que je possédais, y compris mon appareil photographique et toutes mes photos. Au front tout le monde volait, c’était la conséquence inévitable de la pénurie ; mais le personnel des hôpitaux damait le pion à tous. Plus tard, lorsque je fus hospitalisé à Barcelone, un Américain, volontaire des Brigades internationales, venu sur un bateau qui fut torpillé par un sous-marin italien, me raconta qu’il avait été transporté à terre blessé et qu’en le hissant dans la voiture d’ambulance les brancardiers lui avaient fauché sa montre-bracelet.

Tandis que je portais le bras en écharpe, je passai plusieurs jours sereins à me balader dans la région. Monflorite était, comme les autres bourgades, un fouillis de maisons de pierre et de torchis, avec d’étroites ruelles tortueuses qui, à force d’avoir été barattées par les camions, finissaient par offrir l’aspect des cratères de la lune. L’église avait été sérieusement maltraitée et servait de magasin militaire. Dans tout le voisinage il n’y avait que deux fermes tant soit peu grandes, la Torre Lorenzo et la Torre Fabián, et seulement deux maisons d’habitation réellement vastes, demeures, certainement, des propriétaires fonciers qui régentaient autrefois la contrée et dont les huttes misérables des paysans reflétaient la richesse. Immédiatement après avoir franchi la rivière, tout près du front, il y avait une grande minoterie avec, y attenant, une maison de campagne. Cela paraissait scandaleux de voir se rouiller, inutilisées, les énormes machines coûteuses et arracher, pour servir de bois à brûler, les trémies. À quelque temps de là, pour fournir en bois à brûler des troupes plus en arrière du front, on envoya en camions des détachements piller méthodiquement l’endroit. Ils démolissaient le plancher d’une pièce en y faisant éclater une grenade à main. Il est fort possible que La Granja, dont nous avions fait notre magasin et notre cuisine, ait été autrefois un couvent. Elle comprenait d’immenses cours et communs couvrant un demi-hectare ou davantage, avec des écuries pour trente ou quarante chevaux. Les maisons de campagne, dans cette partie de l’Espagne, n’offrent pas d’intérêt architectural, mais les fermes qui en dépendent, en pierres blanchies à la chaux, avec des arcs plein cintre et de splendides poutres de toit, sont des bâtiments empreints de grandeur, construits d’après un plan qui n’a pas dû varier depuis des siècles. Parfois il vous venait un sentiment de sympathie inavoué pour les ex-propriétaires fascistes, à voir de quelle manière les miliciens traitaient les demeures dont ils s’étaient emparés. Dans La Granja, toute pièce dont on ne se servait pas avait été transformée en latrines – en une sorte d’effroyable lieu de carnage où l’on ne voyait plus que meubles brisés et déjections. Le plancher de la petite chapelle aux murs percés de trous d’obus disparaissait sous une couche d’excréments épaisse de plusieurs pouces. Dans la grande cour, où les cuisiniers distribuaient à la louche les rations, il y avait de quoi être écœuré en voyant toutes les immondices, boîtes de fer rouillé, boue, crottin de mulets, aliments avariés, qui jonchaient le sol. C’était le cas ou jamais de chanter le vieux refrain militaire :

 

Il y a des rats, des rats,

Des rats aussi gros que des chats,

Dans le magasin de l’officier de détail !

 

Ceux de La Granja étaient réellement aussi gros, ou il s’en fallait de peu, que des chats ; grosses bêtes bouffies qui se dandinaient sur des lits de fumier, si impudentes qu’elles ne s’enfuyaient même pas à votre approche, à moins que vous ne leur tiriez dessus.

C’était bien le printemps, enfin ! Le ciel était d’un bleu plus tendre ; l’air était soudain d’une douceur délicieuse. Les grenouilles s’appariaient bruyamment dans les fossés. Autour de l’abreuvoir pour les mulets du village, je découvris d’exquises petites grenouilles, de la dimension d’un penny et d’un vert si brillant que l’herbe nouvelle, auprès, paraissait terne. Les petits campagnards s’en allaient, munis de seaux, à la chasse aux escargots qu’ils faisaient griller vifs sur des plaques de fer. Aussitôt qu’il avait commencé à faire meilleur, les paysans étaient sortis pour les labours de printemps. Un signe typique de l’extrême imprécision que revêt la révolution agraire espagnole, c’est que je ne pus jamais me rendre compte de façon certaine si la terre, dans cette région, avait été collectivisée ou si, simplement, les paysans se l’étaient partagée entre eux. J’ai idée qu’en principe elle était collectivisée, puisqu’on était en territoire du P.O.U.M. et des anarchistes. En tout cas, les propriétaires étaient partis, on était en train de cultiver les champs, et les gens paraissaient satisfaits. De la bienveillance que nous témoignaient les paysans, je m’étonne encore. À certains des plus vieux d’entre eux la guerre devait paraître dénuée de sens ; ce qu’il y avait d’évident, c’était qu’elle était cause de privations de toutes sortes et de la vie triste et morne que tout le monde menait. Du reste, même en des temps meilleurs, les paysans détestent avoir des troupes cantonnées chez eux. Et néanmoins ils se montraient invariablement amicaux – réfléchissant, je suppose, que, pour insupportables que nous fussions à d’autres égards, nous ne nous en dressions pas moins comme un rempart entre eux et leurs ex-maîtres. La guerre civile crée d’étranges situations. Huesca se trouvait à moins de cinq milles de là ; c’était la ville de marché de ces gens ; tous y avaient des parents ; durant toute leur vie, chaque semaine, ils étaient allés y vendre leurs volailles et leurs légumes. Et voici que depuis huit mois ils en étaient séparés par une infranchissable barrière de fils de fer barbelés et de mitrailleuses. Parfois cela leur sortait de la mémoire. Je parlais un jour à une vieille femme qui transportait une de ces petites lampes en fer dans lesquelles les Espagnols brûlent de l’huile d’olive. « Où puis-je en acheter une semblable ? demandai-je. – À Huesca », me répondit-elle sans réfléchir, puis nous nous mîmes tous deux à rire. Les jeunes filles du village étaient de splendides créatures, éclatantes de vie, aux cheveux d’un noir de jais, à la démarche balancée ; avec cela une façon de se comporter loyale, comme d’homme à homme, fruit indirect de la révolution probablement.

Des hommes, vêtus de chemises bleues en loques et de pantalons de velours noir à côtes, coiffés de chapeaux de paille à larges bords, en train de labourer les champs, marchaient derrière des attelages de mulets dont les oreilles battaient au rythme des pas. Ils avaient de bien mauvaises charrues qui ne faisaient qu’ameublir superficiellement le sol, sans pouvoir y creuser quelque chose qui méritât le nom de sillon. Tous leurs instruments d’agriculture étaient déplorablement archaïques, car tout était commandé par le prix élevé du métal. On raccommodait un soc brisé, par exemple, et on le raccommodait à nouveau, et tant de fois qu’il finissait par n’être plus qu’un assemblage de morceaux. Les râteaux et les fourches étaient en bois. Les bêches, chez ces gens qui possédaient rarement des souliers, étaient chose inconnue ; pour creuser, ils avaient une houe grossière comme celles dont on se sert en Inde. Il y avait aussi une sorte de herse qui vous ramenait tout droit à la fin de l’âge de pierre. De la dimension environ d’une table de cuisine, elle était faite de planches jointes les unes aux autres et mortaisées de centaines de trous ; et dans chacun de ces trous était coincé un éclat de silex qu’on avait obtenu de la forme souhaitée en s’y prenant exactement comme les hommes s’y prenaient il y a dix mille ans. Je me souviens du sentiment presque d’horreur qui s’était emparé de moi lorsque j’étais pour la première fois tombé sur un de ces instruments, à l’intérieur d’une hutte abandonnée, dans le no man’s land. Cela me rendit malade rien que de penser à la somme de travail qu’avait dû exiger la fabrication d’une telle chose, et à la misère à ce point profonde qui faisait employer le silex au lieu de l’acier. J’ai depuis lors ressenti plus de sympathie à l’égard de l’industrialisme. Cependant il y avait dans le village deux tracteurs agricoles modernes, saisis sans doute sur le domaine de quelque grand propriétaire foncier.

Une ou deux fois j’allai en me promenant jusqu’au petit cimetière entouré de murs qui se trouvait à environ un mille du village. Les morts du front étaient en général transportés à Sietamo ; il n’y avait là que les morts du village. Il différait singulièrement d’un cimetière anglais. Ici, aucune piété envers les morts ! Des buissons et une herbe commune avaient tout envahi et des ossements humains étaient éparpillés partout. Mais ce qui était véritablement surprenant, c’était l’absence à peu près absolue d’inscriptions religieuses sur les pierres tombales, bien que celles-ci datassent toutes d’avant la révolution. Une seule fois, je crois, je vis le « Priez pour l’âme d’untel » qui est courant sur les tombes catholiques. La plupart des inscriptions étaient tout simplement profanes, célébrant en de risibles poèmes les vertus des défunts. Une tombe peut-être sur quatre ou cinq portait une petite croix ou une allusion de pure forme au ciel, et en général elle avait été plus ou moins grattée par le ciseau d’un athée zélé.

Il me parut que les gens, dans cette partie de l’Espagne, sont authentiquement dénués de sentiment religieux – j’entends de sentiment religieux au sens classique. Chose curieuse, pas une seule fois au cours de mon séjour en Espagne je n’ai vu quelqu’un se signer ; il eût été pourtant plausible qu’un tel geste fût devenu machinal, révolution ou non.

Évidemment l’Église espagnole sera un jour restaurée (comme dit le proverbe : la nuit et les Jésuites reviennent toujours), mais il n’est pas douteux qu’elle s’effondra lorsque la révolution éclata, et sa faillite fut telle qu’il serait inconcevable que même la moribonde Église d’Angleterre en connût une semblable dans des circonstances analogues.

Aux yeux du peuple espagnol, tout au moins en Catalogne et en Aragon, l’Église était purement et simplement une entreprise d’escroquerie. Il est possible que la foi chrétienne ait été remplacée dans une certaine mesure par l’anarchisme dont l’influence est largement répandue et qui a incontestablement quelque chose de religieux.

Le jour même où je revins de l’hôpital, on nous fit avancer afin d’établir la première ligne là où il était logique qu’elle fût, à un kilomètre environ plus en avant, le long d’un petit cours d’eau qui coulait parallèlement au front fasciste dont il était distant de deux cents mètres. Ce mouvement eût dû être mis à exécution des mois auparavant. S’il avait brusquement lieu à présent, c’est que les anarchistes attaquaient du côté de la route de Jaca et qu’en avançant de notre côté nous obligions les fascistes à diviser leurs troupes.

Nous passâmes de soixante à soixante-dix heures sans dormir, aussi mes souvenirs sombrent-ils dans une sorte de brouillard, ou plutôt ils se présentent discontinus, comme une suite d’images : la corvée d’écoute dans le no man’s land, à une centaine de mètres de la Casa Francesa, ferme fortifiée qui faisait partie de la première ligne fasciste. Sept heures à rester dans un affreux marécage, dans une eau sentant le roseau où nos corps enfonçaient de plus en plus profond : l’odeur des roseaux, le froid qui engourdit, les étoiles fixes dans le ciel noir, les rauques coassements des grenouilles. On était en avril et cependant je me souviens de cette nuit comme de la plus froide que j’aie connue en Espagne. À cent mètres seulement en arrière de nous les équipes de terrassiers étaient en plein travail, mais, à part le chœur des grenouilles, rien ne trouait le silence. Une seule fois, au cours de la nuit, j’entendis un bruit – celui bien connu que fait un sac de terre lorsqu’on l’aplatit à la pelle. C’est curieux comme, une fois de temps à autre, les Espagnols peuvent réaliser des prouesses en matière d’organisation ! L’opération tout entière avait été magnifiquement concertée. En sept heures, à une distance de la première ligne fasciste variant entre cent cinquante et trois cents mètres, six cents hommes creusèrent une tranchée et construisirent un parapet sur douze cents mètres, et tout cela silencieusement, au point que les fascistes n’entendirent rien et qu’il n’y eut, au cours de la nuit, qu’un homme de touché. Il y en eut davantage le lendemain, naturellement. On avait assigné à chaque homme sa tâche, même aux plantons de la cuisine qu’on eut la surprise, une fois le travail achevé, de voir soudain arriver avec des seaux de vin additionné d’eau-de-vie.

Et puis le lever du jour et les fascistes découvrant brusquement que nous étions là ! Il nous semblait que la masse carrée et blanche de la Casa Francesa, bien que distante de deux cents mètres, nous dominait de tout près et que les mitrailleuses des fenêtres garnies de sacs de sable du dernier étage étaient braquées sur notre tranchée. Nous restions tous à la regarder, nous demandant comment il se faisait que les fascistes ne nous avaient pas vus. Et soudain un déferlement rageur de balles, et tout le monde de se jeter à genoux et de se mettre frénétiquement à creuser, afin de rendre la tranchée plus profonde et d’y aménager par excavation de petits abris latéraux. Portant encore le bras en écharpe, il ne m’était pas possible de creuser et je passai la plus grande partie de cette journée à lire un roman policier : La Disparition de l’Usurier, tel était le titre. Je ne me souviens pas de l’intrigue, mais je retrouve avec une parfaite netteté les sensations que j’éprouvai à être assis là en train de le lire : sous moi la glaise un peu humide du fond de la tranchée, le déplacement continuel de mes jambes pour laisser passer des hommes qui se hâtaient, courbés, le crac-crac-crac des balles à un ou deux pieds au-dessus de ma tête. Thomas Parker reçut une balle qui lui traversa le haut de la cuisse, manquant de bien peu de lui décerner, disait-il, un « D.S.O. »[2] auquel il ne tenait guère. Il y eut, sur toute la longueur du front, des morts et des blessés, mais ce ne fut rien en comparaison de ce que c’eût été si les fascistes nous avaient surpris la nuit pendant que nous nous portions en avant. Même encore à ce moment ils eussent pu nous massacrer s’ils avaient pris l’initiative de faire amener quelques mortiers. Ce fut une tâche malaisée de ramener vers l’arrière les blessés par l’étroite tranchée bondée d’hommes. Je vis râler un pauvre diable, la culotte noire de sang, renversé à bas de sa civière, agonisant. Il fallait porter les blessés sur un long parcours, un kilomètre ou plus, car, même lorsqu’il existait une route, les voitures d’ambulance ne venaient jamais très près des premières lignes. Quand elles en approchaient trop, les fascistes avaient la manie de les canonner – ce qui était du reste justifiable, car personne dans la guerre moderne ne se fait scrupule d’employer une ambulance pour transporter des munitions.

Et puis, la nuit suivante, l’attente, dans la Torre Fabián, de l’attaque dont le contrordre fut donné au dernier moment par sans-fil. Dans la grange où nous attendions, il y avait, par terre, sous une mince couche de menue paille, une épaisse litière d’ossements – ossements humains et ossements de vaches mêlés – et l’endroit était infesté de rats. Ces immondes bêtes sortaient du sol en foule, il en grouillait partout. S’il y a une chose entre toutes dont j’ai horreur, c’est bien qu’un rat me trotte dessus dans l’obscurité. J’eus en tout cas la satisfaction d’en atteindre un d’un bon coup de poing qui l’envoya en l’air.

Et puis l’attente, à cinquante ou soixante mètres du parapet fasciste, du signal de l’assaut. Une longue ligne d’hommes tapis dans un fossé d’irrigation, avec les baïonnettes qui émergent et le blanc des yeux qui luit dans le noir. Kopp et Benjamin accroupetonnés derrière nous, à côté d’un homme portant, attaché aux épaules par une courroie, un poste récepteur de T.S.F. À l’horizon, du côté de l’ouest, les éclairs roses des coups de canon suivis à intervalles de quelques secondes d’énormes explosions. Et puis un pip-pip-pip de la T.S.F. et l’ordre transmis en chuchotant de nous tirer de là pendant qu’il en était encore temps – ce que nous fîmes, mais pas assez promptement. Douze pauvres gosses des J.C.I. (l’Union des Jeunesses du P.O.U.M., correspondant aux J.S.U. du P.S.U.C.), qui avaient été postés à environ quarante mètres seulement des fascistes, furent surpris par l’aube et ne purent s’échapper. Tout le jour, sans autre protection que des touffes d’herbe, ils durent rester là, les fascistes leur tirant dessus chaque fois qu’ils bougeaient. À la tombée de la nuit sept d’entre eux étaient morts, les cinq autres parvinrent alors à s’enfuir en rampant dans l’obscurité.

Puis, durant des jours d’affilée, on entendit chaque matin le bruit des attaques livrées par les anarchistes de l’autre côté de Huesca. Toujours le même bruit, puis, brusquement, à un moment quelconque avant le point du jour, le fracas d’ouverture de plusieurs vingtaines de bombes explosant simultanément – même à des kilomètres de distance, un fracas infernal et qui déchirait l’air –, et ensuite le grondement continu d’un tir massif de fusils et de mitrailleuses, lourd roulement ressemblant curieusement à un roulement de tambours. Peu à peu la fusillade gagnait de proche en proche toutes les lignes de retranchement qui encerclaient Huesca, et sortant en trébuchant de nos abris nous nous ruions dans la tranchée, pour nous affaler contre le parapet où nous demeurions à somnoler, tandis qu’au-dessus de nos têtes tout était balayé par un feu désordonné et sans but.

Durant le jour les canons tonnaient par à-coups. La Torre Fabián, devenue notre cuisine, fut en partie détruite par les obus. Ce qui est drôle c’est que, lorsque vous observez à distance prudente un tir d’artillerie, vous souhaitez toujours que le canonnier atteigne le but, même si celui-ci renferme votre déjeuner et quelques-uns de vos camarades. Les fascistes pointaient bien ce matin-là ; peut-être y avait-il à l’œuvre des artilleurs allemands. Ils encadrèrent parfaitement la Torre Fabián : un obus au-delà, un en deçà, et puis wuizz-boum ! Les chevrons du comble qui éclatent et sautent en l’air, une plaque d’uralite qui tombe en vol plané comme une carte à jouer qu’on a projetée d’une chiquenaude. Par l’obus suivant, le coin d’un bâtiment fut tranché de façon aussi nette que s’il eût été coupé au couteau par un géant. Mais les cuisiniers n’en servirent pas moins le dîner à l’heure – exploit mémorable !

Au fur et à mesure que les jours passaient, les canons que nous ne pouvions voir mais que nous entendions commençaient chacun à prendre pour nous une personnalité distincte. Il y avait les deux batteries de canons russes de 75 mm qui tiraient de tout près, en arrière de nous, et qui, je ne sais pourquoi, évoquaient dans mon esprit l’image d’un gros homme en train de frapper une balle de golf. C’étaient les premiers canons russes que je voyais – ou, plutôt, que j’entendais. Leur trajectoire était basse et leur tir très rapide, aussi entendait-on presque simultanément l’explosion de la gargousse, le sifflement et l’éclatement de l’obus. En arrière de Monflorite il y avait deux très gros canons qui ne tiraient que quelques coups par jour ; leur grondement était profond et sourd comme l’aboiement au loin de monstres enchaînés. Là-haut, à Mont-Aragon, forteresse médiévale prise d’assaut l’année précédente par les troupes gouvernementales (c’était, paraît-il, la première fois dans son histoire qu’elle l’avait été) et qui gardait l’un des accès à Huesca, se trouvait une pièce d’artillerie lourde qui devait remonter loin dans le XIXe siècle. Ses gros obus passaient si lentement en sifflant que vous étiez certain de pouvoir courir à côté d’eux sans vous laisser distancer. On ne peut mieux comparer leur bruit qu’avec celui que fait un homme roulant à bicyclette tout en sifflant. Les mortiers de tranchée, pour petits qu’ils fussent, étaient les plus désagréables à entendre. Leurs obus sont en fait des sortes de torpilles à ailettes, de la forme de ces fléchettes qu’on lance dans les jeux de bistrots, et à peu près de la dimension d’une bouteille d’un litre ; ils faisaient, en partant, un fracas du diable, métallique, comme celui de quelque monstrueuse sphère d’acier cendreux que l’on ferait voler en éclats sur une enclume. Parfois nos avions laissaient tomber des torpilles aériennes dont l’épouvantable rugissement répercuté par l’écho faisait vibrer le sol même à deux kilomètres de distance. En éclatant, les obus des canons fascistes antiaériens parsemaient le ciel de taches blanches semblables aux petits nuages d’une mauvaise aquarelle, mais je n’en ai jamais vu s’épanouir à moins d’un millier de mètres d’un avion. Quand un avion pique de haut pour se servir de sa mitrailleuse, le bruit, d’en bas, ressemble à un battement d’ailes.

Dans notre secteur il ne se passait pas grand-chose. À deux cents mètres sur notre droite, là où les fascistes se trouvaient sur une éminence de terrain plus élevée, leurs canardeurs descendirent quelques-uns de nos camarades. À deux cents mètres sur notre gauche, au pont sur la rivière, une sorte de duel se poursuivait entre les mortiers fascistes et les hommes qui étaient en train de construire une barricade en béton en travers du pont. Ces satanés petits obus arrivaient en sifflant, bing-crac, bing-crac !, faisant un vacarme doublement diabolique quand ils atterrissaient sur la route asphaltée. À cent mètres de là, vous étiez en parfaite sécurité et pouviez contempler à votre aise les colonnes de terre et de fumée noire qui jaillissaient comme des arbres magiques. Les pauvres diables autour du pont passaient une bonne partie de la journée à se réfugier dans les petits abris qu’ils avaient creusés au flanc de la tranchée. Mais il y eut moins de pertes qu’on aurait pu s’y attendre, et la barricade continua de s’élever régulièrement : un mur de deux pieds d’épaisseur, avec des embrasures pour deux mitrailleuses et un petit canon de campagne. Pour armer le béton on devait se servir de vieux châlits, le seul fer, il faut croire, qu’on pût trouver pour cela.

 

Hommage à la Catalogne
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